AL MUGAWIR
 
 
 
QUI RÊVERA DANS LES TRACES DE NOS PAS EFFACES
 
 
 
 
 
 
 
                Les Immortels avaient donc découvert qu’Abd Al-Rahman avait perdu le nom de sa Muse suite à sa rencontre avec Yacoub. La Fraternité du Chant réunie tourna donc ses pas vers le domaine de celui-ci, non loin de Chott El-Oued. Au fur et à mesure de leur progression, les champs de Lune Noire s’épaississaient ; le sentiment de peur grandissait chez certains alors que Drusilla ressentait un profond désespoir. Des cavaliers nomades (les mêmes qui portaient des tatouages de scorpions) semblaient les escorter jusqu’au domaine de leur Maître. Yacoub les accueillit avec une grandiloquence exagérée mais néanmoins sinistre. Le Djinn maudit accepterait de les aider en échange de leurs souvenirs. Chacun devait payer le tribut pour assouvir les maîtres de Yacoub, qu’il nommait lui-même les Pères du Désert.
 
                Chacun consentit à payer le prix et Yacoub les conduisit jusqu’au cœur de son domaine où étaient échouées les nefs oniriques qui continuaient de nourrir les Sauriens. Ils retrouvèrent facilement celle d’Abd Al-Rahman, au bord de laquelle ils étaient montés dans l’Archipel de Brume, et purent lire sur sa coque d’olivier inscrit dans une fine calligraphie arabe le nom d’Oriann. Mais Yacoub les prévint que l’appétit de ses maîtres recommençait de croître et qu’ils ne devaient pas s’attarder. Pourtant, alors que les souvenirs de ses entretiens avec Abd Al-Rahman lui revenaient, il leur fit d’autres révélations : ils devaient retrouver la branche perdue des Ah-Bikr et seul Les Jardins Invisibles des Géométries pouvait les y mener.
 
                La Fraternité du Chant décida après quelques formalités administratives de se rendre en Arabie Saoudite, à la demeure des Abd Al-Aziz, dernier endroit où avait été vu le livre. Ils savaient qu’une fois arrivés à Al ’Riyad, ils devraient se montrer très prudents car la police secrète saoudienne avait des yeux partout. Après avoir constaté que la Casbah était déserte, ils eurent un entretien pour le moins incongru avec un Satyre Adopté de la Papesse au rayon lingerie d’un grand magasin. Il leur révéla qu’une Ordalie décrétée par la Justice marquait leurs pentacles mais la Papesse soupçonnait Azim du massacre des leurs, ce qui lui fut confirmé. Le Satyre anonyme leur proposa d’écarter la police secrète de la Casbah des Abd Al-Aziz pendant une nuit afin de leur permettre de fouiller.
 
                Après quelques hésitations, les Immortels escaladèrent le mur d’enceinte et pénétrèrent dans les lieux. Ils purent voir qu’Azim y avait saccagé la bibliothèque dont tous les livres avaient été retirés. Ils n’avaient que peu d’espoir de retrouver Les Jardins Invisibles des Géométries. Quand ils sortirent de la propriété, l’attaque de l’Assassin fut foudroyante. Ils furent projetés au sol comme si Orichalka venait de leur tomber dessus. Rorsach était cloué au sol par une lame maudite et Drusilla elle-même ne put rien faire. C’est alors qu’une aide inattendue et providentielle les tira de ce mauvais pas. Un homme mitrailla Marik Fad Al-Abdallah, le forçant à fuir, et entraina la Fraternité du Chant à travers les rues peu éclairées jusqu’à sa demeure.
 
                Ils firent là la connaissance de Rick O’Neil, baroudeur, trafiquant d’alcool et agent dormant de la CIA. Ils acceptèrent d’échanger avec lui et c’est ainsi qu’il leur remit le livre. Il s’en était en effet emparé suite au passage d’Azim mais le vénérable incunable avait été voué aux Limbes de l’Oubli par le phalangiste de la Maison-Dieu. Il était illisible mais les immortels décidèrent de le garder car il pourrait leur servir de « boussole » dans l’Eidos. La révélation leur vint en observant les photographies aériennes du Chott El-Arab (l’estuaire où se rejoignent le Tigre et l’Euphrate) qui décoraient les murs de la Casbah de Rick. Il représentait les mêmes motifs que ceux découverts sur les tapis de prière des Ah-Azzakira. Les Ah-Bikr avait disparu dans le Chott El-Arab. Avant de prendre congés, Rick leur dit qu’il appartenait aux Milices du Christ, Manteau Rouge templier, actuellement en lutte contre les Assassins qui semblaient se détourner des préceptes du Temple. Il leur fit franchir la frontière irakienne clandestinement.
 
                Après plusieurs heures de route, ils dépassèrent Bassora et arrivèrent sur les rives de l’immense estuaire. Ils furent accueillis dans un petit village de pêcheurs qui leur parlèrent de leurs coutumes et croyances ancestrales. Grâce au Rituel d’Ea, ils purent gagner la retraite des Ah-Bikr. 25 statues de sel les attendaient depuis des millénaires. Ils prononcèrent le nom de la Muse afin de les rendre au temps et purent s’entretenir avec eux. Ils leur révélèrent la nature tripartite des géniteurs du Trait : Salomon le vecteur d’insémination des Mèmes qui proliférèrent dans le corps d’Hiram puis furent sauvegardés dans celui de Balkis pendant l’agonie du maître d’œuvre. Balkis de Saba recueillit la Fleur-Idée dans son palais édénique où elle est aujourd’hui prisonnière. Pour la libérer, il faut l’embarquer à bord d’une Nef analogique qui la préservera de la dissolution sur les flots de l’Eidos, et la conduire jusqu’à Madinat Al-Zahra. Isilyss connaissait bien Ma’arib : leur prochaine destination…