AL MUGAWIR
LE COCON ADAMANTIQUE
France Bleue Picardie diffusa cette nuit-là la Muwassah dans son intégralité. Le Chant se répercuta sur toutes les ondes radio entre minuit et 5h du matin. Krebb, Isilyss, Erensern, Nell, Rorsach et Drusilla l’entendirent et depuis Rome, Berlin, Genève, Istanbul, Tanger et Moscou, ils convergèrent vers l’origine de la diffusion : Amiens. La Fraternité du Chant fut donc réunie après cinq siècles de séparation sur le parvis de la cathédrale un 30 octobre 2010 en début d’après-midi. Ils purent évoquer le passé, refaire connaissance, en particulier avec l’ancienne Diablesse devenue Selenim. Il furent accostés par un Ange nommé Oordenaard qui avait également perçu le Chant et qui leur indiqua l’adresse des locaux de la radio picarde.
Ils firent ainsi la connaissance de Chloé la standardiste qui semblait débordée d’appels téléphoniques provenant des quatre coins du monde. Fort impressionnée par le charisme du juge italien, elle leur révéla tout ce qu’elle savait. Un jeune homme avait déposé la bande de façon anonyme. Un motard s’était présenté et avait subtilisé l’enregistrement avant de se faire écraser puis enlever par des hommes cagoulés conduisant un van. Chloé avait aidé à dégager la moto de la route et avait découvert dans les sacoches une liasse de contraventions, toutes reçues à deux adresses. Les compagnons décidèrent de s’y rendre.
La première indiquait un bar : « Au pied du mur », établissement « à l’orientale » tenu par un certain Hashim. Le tenancier, bourru au premier abord, finit par leur faire confiance. Le motard se nommait Selim et était le garde du corps d’un jeune Saoudien nommé Suleyman Abd Al-Aziz qui avait lui-même disparu depuis trois jours. Suleyman était très proche de son compagnon de chambrée Tariq Ibn Amman. Ils leur proposa d’organiser une rencontre le soir même avec le jeune homme. Pendant ce temps, la seconde adresse avait été identifiée et correspondait à l’EHOET : Ecole des Hautes Œuvres du Trait. La Fraternité attendit 22h pour se rendre au rendez-vous.
Tariq était un le fils d’un riche Jordanien et étudiait à l’EHOET comme de nombreux fils d’hommes influents du Proche et du Moyen-Orient. Il décrivit Suleyman comme un grand poète, un homme pur doué de beauté et habité par une lumière unique. C’est lui qui avait enregistré la Muwassah que chantait Suleyman dans son sommeil. Après la disparition de son ami, il décida de déposer la bande à France Bleue Picardie pour diffusion dans l’espoir que le Chant lui apporterait de l’aide. Et la Fraternité du Chant était venue. Il leur proposa son aide pour investir l’Ecole à la recherche de son ami.
Tariq soudoya les gardes pour introduire Isilyss dans sa chambre. Elle put y voir notamment une photo de Souleyman en compagnie de son faucon. Le jeune homme semblait avoir un deuxième « ange gardien ». Puis ils gagnèrent le réfectoire et la bibliothèque où ils découvrirent le corps inanimé du rapace. Celui-ci était un Ange et Isilyss put le soigner. Une fois guéri, il sembla vouloir leur montrer quelque chose. Tariq, Isilyss et Al-Dâkhil le faucon furent repérés par les Kerubim qu’Erensern avait envoyé en prospection dans les lieux. Ils se rejoignirent tous autour d’un puits qui s’enfonçait profondément sous terre.
Un tunnel humide les conduisit sous la Somme jusqu’à un vieux cimetière. Drusilla repéra vite la supercherie. Le cimetière n’abritait aucun défunt. Tout y était faux, jusqu’aux épitaphes des tombes. Une stèle marquait le centre du cimetière.
AMIS QUI VIENS ICI VISITER
TES FERES DEMEURANT SOUS TERRE
TROUVE EN CE LEIU LE RECONFORT
DU SOUVENIR TOUJOURS RENOUVELE
ILS NE MEURENT PAS
CEUX QUI GISENT ICI
SOUS LE BOIS LE PLUS DUR
AUX FRAGRANCES D’ETERNITE
TU PEUX LES PLEURER
PUISQU’ILS SONT TES FRERES DISPARUS
MAIS MESURE TON CHAGRIN
A L’AUNE DE LA DIVINE PROPORTION
SUR CHACUN DE TES FRERES
DU CADET A L’AINE
EGRAINE LE NOMBRE DE PHIDIAS
DANS LEQUEL SE MIRE LE MONDE
DECLINANT PAS A PAS
SES PREMIERS CHIFFRES
ET SI TU DOUTES RAPPELLE-TOI
QUE CE CHIFFRE COMMENCE
PAR CETTE PROMESSE CONNUE :
« J’ESPERE L’ETERNITE »
Nell découvrit rapidement le sens de l’énigme et put remplir les vasques accueillant des acacias du nombre d’écuelles correspondant au nombre d’or : 1618, révélé par le nombre des lettres dans la dernière phrase du texte. Ceci actionna un mécanisme qui ouvrit la tombe centrale, révélant un escalier s’enfonçant sous le cimetière. Ils franchirent un enchevêtrement de petites pièces servant de réserves, cuisines, débarras avant de se frotter aux premiers gardes. Les deux hommes furent rapidement abattu ; ils appartenaient tous deux à la sécurité de l’EHOET. Après avoir abattu deux autres gardes un peu plus récalcitrants, ils arrivèrent à une pièce « carrefour » qui contenait quatre gardes. Le combat fut terrible et Drusilla fut grièvement blessée. Isilyss soigna le Selenim tandis que d’autres gardes débouchaient du couloir de gauche. Ils furent également tués après un combat acharné puis interrogés par le Selenim. Le couloir de droite conduisait à une sort de chapelle et la porte centrale menait au Cocon Adamantique.
L’orgueil des R+C trône au centre de la cave : une machinerie colossale. Un imposant oscillateur à quatre massives sphères de fonte, dont le mouvement qui emplit pourtant l’air d’un ronronnement clairement audible parait lent et décomposé, assure un mouvement perpétuel hypnotique. Un amoncellement de rouages, balanciers, cylindres, pignons et ressorts s’agite de concert dans un cliquetis discret qui trahit l’entretien minutieux dont toute cette machinerie fait l’objet. La majeure partie du volume occupé par la machine est dédiée à la production régulière de cette énergie mécanique. Point d’horloge pourtant au bout de la chaîne cinématique mais un nouvel engin plus diabolique encore. Une table métallique, pourvue de sangles de cuir qui retiennent la victime, est rivée au sol et vibre sourdement sous l’action perpétuelle du mécanisme voisin. Un gros sablier, de la taille d’un homme, est fixé à un pivot à côté de cette table et se retourne, toutes les sept minutes, pour mélanger le vif-argent qu’il contient avec une poudre verdâtre qui cristallise au fond du récipient. Une pompe prélève, au passage de l’étranglement du sablier, une partie du liquide pour l’injecter, via une tuyauterie translucide abondante, en divers points de perfusion dans le corps de la victime. De l’autre côté de la table, un immense soufflet s’associe aux mouvements de la machinerie et aère, en même temps qu’il le chasse d’un récipient de verre, un liquide de nature sanguine. Une boucle de tuyauterie translucide injecte le sang dans le corps de la victime par des perfusions dans la carotide et ponctionne le sang usagé. Celui-ci retourne dans l’alambic au soufflet, après qu’un filtre ait retenu les petits caillots de sang, de vif-argent et d’une substance tierce : le Ka –Soleil de la victime qui sont ensuite réintroduits dans la sablier de vif-argent à intervalles réguliers.
Un scientifique accueille l’équipe de façon narquoise. Ils sont arrivés trop tard et ne peuvent sauver Suleyman. Le bluff ne prend pas et la conversation dégénère vite en fusillade. Isilyss tranche les tuyaux reliant Suleyman à la machine provoquant l’emballement puis l’explosion de celle-ci. Tout le monde est brûlé et irradié par une fumée verdâtre. Ils viennent de contracté la Fièvre Solaire. Le Ka-Soleil de leurs simulacres commence à « gonfler ». Ils abattent les derniers scientifiques devenus fous et suicidaires avant de prendre la fuite. Krebb creuse une sortie à travers la terre pour échapper aux renforts de la sécurité de l’EHOET. La Fraternité du Chant fuit dans la forêt avec Al-Dâkhil, Tariq et le corps de Suleyman inconscient. Toutes les forces de l’EHOET ainsi que celles de la gendarmerie se lancent à leurs trousses. Ils parviennent à arrêter des véhicules puis à gagner l’autoroute pour partir, à la demande de Suleyman, vers l’Espagne.
A suivre…