CHAUDE LAPINE
 
 

  Destox, Cricket et Karst on intégré l’équipe d’intervention du Centre de Tri (CdT). Cette honorable institution fondée en 1902 fût avant-guerre un organe indispensable de l’administration démoniaque. Tombée depuis quelque peu en désuétude, le CdT est dirigé d’une main de maître depuis plus de trente ans par Monsieur Fabien (Grade 3 au service de Baalberith) et son acolyte Gilbert (Grade 2 au service de Morax). Cette équipe est complétée par une récente recrue chargée du secrétariat : Aurélie (Grade 1 au service de Baalberith). Le CdT reste aujourd’hui un point de repère pour nombre de démons parisiens, souvent anciens.

            Nos trois démons se sont ainsi familiarisés avec les lieux et ont opté pour un travail de nuit : Destox se chargera du gardiennage, Cricket de la surveillance des bureaux et Karst de l’archivage, secondé par quelques zombis. Quelques parties de baby foot, de fléchettes zombis et de cartes plus tard, une première mission leur est confiée. Hakim Izmet, jeune écrivain, démon aux ordres de Morax et ami de Gilbert, vient de publier son second roman qui se voit menacé de censure. En effet, Chaude lapine est un roman érotique zoophile d’une rare rigueur littéraire mais plusieurs associations parmi lesquelles Familles de France, Chrétien Média ou encore la SPA ont déposé plaintes pour outrage aux bonnes mœurs et incitation à la haine spéciale (entre les espèces). Monsieur Fabien demande donc aux démons de convenir d’une stratégie avec l’auteur afin de faire suffisamment de battage autour de cette affaire pour qu’elle s’ébruite et que les milieux littéraires se mobilisent au nom de la liberté d’expression.
            Hélas, les démons ne disposent que de deux jours avant l’ouverture du procès et ce laps de temps ne leur laisse guère de chances de réussir. Hakim Izmet lui-même se montre peu motivé par le combat juridique et laisse à l’équipe d’intervention du CdT le soin de gérer cette histoire. Durant deux jours, Destox, Cricket et Karst se démènent pour faire parler du livre avec un certain succès et le premier jour de procès donne lieu à des incidents forçant le Juge à ajourner la séance. Le lendemain, la maladresse de l’avocat de la défense clôt ce combat perdu d’avance mais Hakim est content. Il passe chez Ardisson (« un âne à trois pattes, moi je trouve ça plutôt marrant ») et y gagne un succès d’estime (« être censuré, ça fait classe »). Il décide donc d’offrir un verre à notre équipe pour la remercier.
            Quand les démons se pointent chez lui, l’appartement est désert malgré les traces d’occupation (et de coït) récente. Les voisins ont bien vu entrer et sortir sa petite amie Yolande mais plus aucune trace d’Hakim. Destox décide dans le doute de tuer une militante SPA aperçue lors du procès, sûrement aux ordres de l’Archange Jordi et sûrement pas impliquée dans la disparition de l’auteur de « Chaude lapine ». Les démons font leur rapport et sont remerciés pour leurs efforts par les services de Morax ; Karst est intronisé au Grade 1.
 
A bientôt pour la suite de la campagne Fire & Ice avec le second scénario :
« Un ptit coup chez Dédé jamais n’abolira le hasard »
 
 
« Dieu est aussi proche de nous que les saletés qui jonchent la poubelle – pour parler plus précisément, Dieu est la saleté dans la poubelle. »
Philip K. Dick, Si vous trouvez ce monde mauvais vous devriez en voir quelques autres
 
« Mais arrête ! T’es con ou quoi, tu tues un livre ! »
 
 
 
« La nuit est rouge et tiède, vagin primordial, odeur de stupre.
J. ouvre les portes du hangar et tangue : gros cul qui se balance, roule comme la marée de leurs folies. De l’intérieur leur viennent les cris de désir / effroi, cris de bêtes, ah. Primordiaux. Coin coin. Wouf wouf. J. a une lueur lubrique dans l’œil et elle rajuste son soutien-gorge – pis monstrueux de l’homo sapiens femelle ; lui porte la main à sa braguette. Prêt à bondir, à agir. Prêt à saillir. Sperme coagulé. Ils pénètrent le bâtiment, dans la clarté obscure. Meuh meuh.
Ils sont tous là, orgie de chair, débauche de senteurs âcres. Bouses, fientes, fumées, crottes. Puissance ultime des premiers accouplements. J. n’a pas hésité, elle s’est jetée sur Lassie dont elle fouaille l’entrecuisse, lubrique. Lui regarde alentour, hésitation balbutiante au bord de l’abîme de ses pulsions insoumises. Pompon, le lièvre pervers ? Marcel, le veau à trois pattes : pilon en rut et langue au vent ? Knacky, la truite hurleuse à l’appétit insatiable ? J. a roulé dans le foin, haletante et montée par deux lévriers qui se relayent dans leur fièvre. Oreilles au vent, il pense à la pub Royal Canin ; ça l’excite / il hésite.
-         Dis-moi… tu m’avais pas dit que cette semaine je pourrais retrouver Flipper ?
Mais la question est étouffée par un barrissement : Jumbo, au fond, dans la nuit cosmique d’un recoin interdit. Guidé par le son, la trique dressée – ô hauban de sa gloire – il se dirige vers l’éléphant. Pour le satisfaire.
Tout n’est que douleur, semence et perversion. C’est Michel-Ange interdit, perdu dans une
Arche de Noé virevoltante d’extase. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.
 
(Extrait de Chaude lapine, un roman de Hakim Izmet, aux éditions du Fruit défendu)