L'hiver approche. Chaque nuit, le froid se fait plus intense et chaque jour, le soleil faiblit, ne parvenant plus à réchauffer l'immense forêt de Takran. Ces conifères majestueux, souples sous le vent glacial du Nord, étendent leurs cimes à plus de 80 mètres au dessus du sol gorgé d\'eau, couvert d'une fine pellicule de glace qui se brise sous chaque pas. Sous la glace, l'eau glacée; sous l'eau glacée, de nouveau la glace ; celle qui ne fond pas...Dans ce pays sauvage et magnifique qu'aucune civilisation n'aurait jamais dû violer, la vie même est une lutte de chaque instant. Se reposer revient à mourir et les morts demeurent pour toujours, statues grotesques encombrant les sous-bois, témoignages de la folie des hommes et de leur arrogance.Ici, les faibles n'ont pas leur place et les forts y apprennent à périr comme les faibles... Arthus connaissait bien la sombre réputation du Firth de Gourizaga. Rares furent les marins assez fous pour tenter ce défis et ceux qui en sont revenus se comptent sur les doigts de la main gauche d'un joueur de la "Hachette du Nordique". Arthus savait qu'il avait le choix entre le Nord de la passe aux eaux tourbillonnantes, aux blocs de glaces portés par les courants et surgissants de nulle part. Par le Sud, il prennait le risque de voir le navire drossé contre les brisants, incapable d'affronter la puissance des flux. Le centre du Firth fut sont choix. A l'endroit où les eaux de la Mer de Kalte occidentale rencontrent celles de la Mer de Kalte orientale, une vague se lève en permanence entre 20 et 30 mètres de hauteur, massive, invincible. Les plus puissants Drakkars ne sont que de vulgaires coquilles de noix face à cette fureur déchaînée des éléments. Alors que dire de la frèle embarcation des héros ?Ils se sont pourtant tous battus. Vaillamment, avec l'énergie du désespoir, ils ont plongé vers leur trépas. Oui, ce jour-là, il ont compris ce qu'était la peur et la folie, la vanité ultime d'aventuriers terrassés par des mois de traversée dans les mers glaciales. Ce combat était pourtant leur dernière chance.Le fragile esquif s'est enfoncé dans l'immense montagne de liquide opaque, passant au travers, craquant de toutes parts. Le mat s'est d'abord brisé, puis la coque a été écrasée, comme si une main de géant s'était refermée sur elle. Après la morsure du froid, les héros ont pu sentir la terrible pression qui s'exerçait sur eux, chassant l'air de leurs poumons, chassant la vie de leurs corps.Ameratat, dieu des tempêtes, avait-il décidé de leur fin ?