Quelques détails sur ce train légendaire...

 

L'ancetre : l'Orient Express

Avec l'entrée en service, le 5 juin 1883, de l'Orient-Express, tout changeait. C'était d'ailleurs le premier train de luxe international que créait la Compagnie des Wagons-Lits et des Grands Express Européens fondée dix ans plus tôt à Liège par Georges Nagelmackers. L'Orient-Express reliait Paris à Constantinople (qui ne s'appelait pas encore Istanbul) en quatre vingts heures, par Strabourg, karlsruhe, Stuttgart, Ulm, Münich, Vienne, Budapest, Bucarest, Rouchtchouk et Varna où les voyageurs prenaient le bateau pour traverser en quinze heures la mer Noire. C'était le train des grandes puissances : France, Empire, allemand, Empire austro-hongrois, Empire ottoman...Il raccourcissait de trente heures le trajet de Paris à Constantinople et, avec ses wagons-Lits - deux ou trois selon le nombre des voyageurs inscrits - et son wagon-restaurant, il apparaissait comme un palace roulant. Voilà donc établie, sur 3094 km, la première liaison rapide et confortable entre les abords de l'Asie et ce que l'on appellerait maintenant l'Europe atlantique. Six ans plus tard, cette liaison était encore améliorée : l'achèvement de la voie ferrée jusqu'à Constantinople évitait toute traversée maritime : Paris n'était plus qu'à 67 heures du Bosphore.

 

Quand la politique met son veto

Mais, en 1906, une nouvelle liaison parut devoir s'établir avec l'Europe orientale. Le tunnel du Simplon venait d'être percé. Une voie s'ouvrait donc : par Lausanne, Milan, Venise, Trieste, Ljubljana, la vallée de la Save, on pouvait atteindre Belgrade, tête du réseau balkanique. Techniquement, une telle ligne était parfaitement réalisable, l'itinéraire étant même plus court de 60 km que celui passant par la Bavière et la vallée du moyen Danube. Cependant, pour que cette liaison fût créée, il ne suffisait pas de l'accord de Paris, de Rome et de Belgrade, il fallait aussi celui de Vienne et de Budapest car l'Italie et la Serbie n'ayant pas, à cette époque, de frontière commune, la ligne devait traverser la Carniole, province autrichienne et la Croatie, province hongroise.

Or, quand en juin 1906, à Brême, à la Conférence Internationale des Horaires, M. Gustave Noblemaire, alors directeur général du P.L.M., exposa ce plan , il se heurta au refus du gouvernement austro-hongrois, soutenu par le gouvernement allemand. En effet, pas plus que Berlin, Vienne et Budapest ne pouvaient accepter une ligne qui inévitablement, concurrencerait le système de communications existant entre l'Ouest et l'Est de l'Europe et dont l'Orient-Express était la pièce maîtresse. D'autre part, les gouvernements allemands et austro-hongrois craignaient que la création d'un grand service sud-européen traversant les plaines de la Lombardie et de la Vénétie, inclinât leur alliée de la Triplice, l'Italie, à penser que tous ses intérêts ne gravitaient pas autour de l'Europe centrale. Le désir d'hégémonie ferroviaire s'associait étroitement à une volonté d'hégémonie politique.

Le projet de création d'un Simplon-Orient-Express retourna donc dans les cartons et, durant l'hiver 1906, c'est seulement un Simplon-Express qui naquit, reliant Londres-Calais-Paris à Lausanne et Milan puis, en 1908, poussant jusqu'à Venise. D'abord hebdomadaire, il devint bientôt quotidien, couvrant les 1106 km du parcours Paris-Venise en 23h45. Train de luxe comme l'Orient-Express, il fut, jusqu'en 1914, le train des jeunes mariés qui allaient passer leur lune de miel dans la cité des Doges.

 

Treize ans plus tard

Ce que la politique avait empêché, treize ans plus tard, la politique le permit. Plus exactement, elle l'imposa.

Mais, entre-temps, la guerre avait bouleversé l'Europe : l'Allemagne était abattue, l'Empire austro-hongrois avait volé en éclats, de nouveaux Etats et de nouveaux systèmes d'alliances étaient nés.

En 1919, quand s'ouvrit, à Versailles, la Conférence de la Paix, tous les obstacles qui s'étaient naguère opposés à la création du Simplon-Orient-Express n'existaient plus : l'Italie, maintenant dans le camp des Alliés, avait une frontière commune avec le jeune Etat yougoslave qui, de son côté, souhaitait la réalisation du projet de 1906. La Roumanie, elle aussi, désirait une relation facile et rapide avec ses alliés occidentaux. Enfin, il était de l'intérêt politique de notre pays et de la Grande-Bretagne que fut mis en service un grand train international qui, en aucun point, n'empruntât le territoire des Etats germaniques et établit des liaisons rapides entre Londres et Paris d'une part, les capitales du centre européen et le Proche-Orient d'autre part, ce Proche-Orient, où le démembrement de l'Empire ottoman avait permis 

à la France et à l'Angleterre de prendre pied.

Ainsi donc, tout concourait au succès des pourparlers et des études entrepris par un comité spécial qui, réunissant les délégués des chemins de fer français, belges, italiens, suisses, néerlandais, yougoslaves et de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, siégea au mois de mars 1919, tandis que se poursuivaient les négociations en vue de la signature de la paix. Ce Comité, où siégeait notamment 

M. André Noblemaire, directeur de la Compagnie des Wagons-Lits, déploya une telle activité qu'en moins d'un mois, les conditions générales d'établissement et d'exploitation du nouveau train furent fixées. Son itinéraire devait passer par Vallorbe, Lausanne, le Simplon, Milan, Venise, Trieste, Ljubljana, Zagreb, Vinkovci, où il bifurquerait d'une part vers Bucarest, Constanza et Odessa, d'autre part vers Belgrade, Nisch, Constantinople, Athènes. La bifurcation vers Bucarest devait être portée à Belgrade dès que le permettrait une meilleure jonction de la Yougoslavie 

à la Roumanie.

Constantinople ? oui mais ...

 

Le nouveau service fut placé sous un régime conventionnel et autonome, son établissement en était confié à la Société des Wagons-Lits et sa gestion à la Compagnie P.L.M.

 

Cependant, les décisions prises demeuraient assez théoriques car l'état de l'Europe et surtout de la péninsule balkanique au lendemain de la guerre ne permettait pas de réaliser d'emblée ce beau programme. Les yougoslaves demandèrent une vérification de la section à emprunter entre la frontière italienne et Zagreb et signalèrent des coupures sur la section de Belgrade à Nisch tandis que les Roumains, de leur côté, en signalaient sur la section de Bucarest à Constanza. Des ponts, des gares, des sytèmes de signalisation étaient à reconstruire. Quant à la Compagnie des wagons-Lits, elle fit remarquer qu'elle ne pouvait disposer immédiatement du matériel nécessaire, de nombreux wagons ayant été détruits, dégradés ou transformés en voitures-hôpital, d'autres ayant dsparu.

On ne pouvait réaliser le programme que par étapes. On adopta donc des dispositions dans ce sens dont l'article premier était ainsi conçu :

– A dater du 15 avril 1919, un train de luxe quotidien dénommé " Simplon-Orient-Express ", composé de matériel de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, circulera entre Paris, Lausanne, le Simplon, Milan et Trieste. A Paris, ce train relèvera une correspondance Londres-Paris, via Calais ou Boulogne. A Milan, il correspondra avec un train rapide Bordeaux-Lyon, Mont Cenis-Turin-Milan, fermé de voitures de 1ère classe et de voitures de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. A Trieste, le Simplon-Orient-Express donnera correspondance à un train rapide Trieste-Laybach (Ljublana)-Steinbruck-Zagreb-Vinkovci-Belgrade, composé, entre Trieste et Zagreb, de matériel de 1ère Classe de l'Etat ialien, et au-delà, de matériel de 1ère classe des Chemins de fer serbes.

– L'attraction sera assurée, de Trieste à Zagreb, par les Chemins de fer italiens et, entre Zagreb et Belgrade, par les autorités militaires interalliées. A Vinkovci, sera établie par les voies les plus courtes, une correspondance sur Bucarest ; le matériel de 1ère classe sera fourni sur tout le parcours par les Chemins de fer de l'Etat roumain, la traction étant assurée par les Chemins de fer Serbes de Vonkovci à Szegedin (Szeged) et par les Chemins de fer roumains au-delà. Au cas où une relation ferroviaire serait impossible entre Vinkovci et la frontière roumaine, on envisagerait une liaison par le Danube, de Belgrade à Orsova (Orchova). "

L'article 4 des dispositions précisait :

– " Au fur et à mesure de l'augmentation des ressources en matériel de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, on s'acheminera vers la réalisation complète du programme définitif, comportant train de luxe sur tout le parcours entre la France et l'Orient avec correspondance d'un train rapide ordinaire Bordeaux-Milan ".

Ainsi, la liaison avec Constantinople était remise à des temps meilleurs. Pour l'instant, on se contentait d'une liaison entre les capitales alliées, ce qui marquait bien, d'ailleurs le caractère politique - et dans une certaine mesure militaire - de ce service. La Compagnie Internationale des Wagons-Lits ne s'y trompait pas, qui déclarait que " puisqu'il s'agissait d'attirer la circulation sur une route nouvelle conformément aux vues des gouvernements alliés, il incombait à ceux-ci de couvrir les insuffisances éventuelles de la société des suppléments ".

 

 Le train des Capitales

Le " Guide officiel de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens " inscrit dans son édition du 1er septembre 1919, le Simplon-Orient-Express - qui avait été inauguré le 11 avril précédent - " comprenant des voitures directes de Paris pour Bucarest et Belgrade et vice versa ". Pour le parcours Paris-Trieste, le supplément à percevoir est de F 141,30, pour Paris-Belgrade, de 204,45, pour Paris-Bucarest, de F 216,25 ...

 

A partir du 1er juillet 1920, ce train mérite vraiment son nom puisqu'il atteint Constantinople mais, pour couvrir ce parcours, il met sensiblement plus de temps que l'Orient-Express avant la guerre : 96h30 minutes. Cependant, huit jours plus tard, la liaison avec Constantinople doit être interrompue pour quelques semaines, les hostilités ayant éclaté entre la Turquie et la Grèce.

 

D'ailleurs, les premières années du Simplon-Orient-Express vont être assez " agitées " ... comme les pays qu'il traverse. A plusieurs reprises, des grèves en Italie vont le faire détourner par Vienne, d'autres fois, Bucarest ne pourra être atteint. Cependant, le programme primitif est peu à peu rempli : c'est également en juillet 1920 que la branche sur Athènes est ouverte et le 1er juin 1921, le service Paris-Constantinople devient quotidien. La même année est réalisé le prolongement de Paris à Calais mais, en 1922, la branche Bordeaux-Milan, dite " ligne du 45 e parallèle " est abandonnée, n'ayant jamais fait ses frais.

 

Les Horaires de plusieurs trains internationaux sont combinés avec ceux du Simplon-Orient-Express si bien qu'en 1934, Lionel Wiener pourra écrire, dans le " Bulletin de l'Association Internationale du Congrès des Chemins de fer " : " Le Simplon-Orient-Express, tel qu'il existe aujourd'hui, se distingue de tous les autres grands express de la Compagnie des Wagons-Lits, en ce qu'il n'est pas, à proprement parler, un train allant de Paris (et Londres vers une série de destinations qu'il atteindrait en se subdivisant en un nombre correspondant de branches divergentes, mais, qu'il est devenu, par la force des choses, un train unissant toutes les grandes capitales occidentales - Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam, Berlin, et Prague - à Vienne et à toutes les capitales du Proche-Orient : Athènes, Belgrade, Sofia, Bucarest, Istanbul, et même au-delà : Ankara, Beyrouth, Le Caire et Téhéran. "

 

Sans nous attarder à chicaner sur cette étrange " extension " du Proche-Orient au sud-est de l'Europe ; constatons qu'est ainsi parfaitement définie l'importance du Simplon-Orient-Express entre 1919 et 1939 ; elle est considérable.

 

Confort, rapidité et ... Romanesque

En même temps que le Simplon-Orient-Express atteignait les " objectifs " qui lui étaient fixés, son horaire allait s'améliorant ; dès 1922, il ne faut plus que 88h50 pou aller de Paris à Istanbul. Mais ce temps de parcours sera encore raccourci : 70h25 en 1926, 66h10 en 1929, 58h18 en 1934, 57H10 en 1938. Après avoir connu, au début de la mise en service, des retards importants de 5 à 7 heures, dûs au manque de locomotives sur la section roumaine, le Simplon-Orient-Express fut, pendant vingt ans, malgré la longueur du parcours et ses horaires complexes, remarquable de régularité.

 

Cependant, les circonstances atmosphériques et les catastrophes naturelles entravèrent parfois sa marche. En 1929, le train partit de Paris le 29 janvier, est bloqué 11 jours par les neiges à Tcherkeskeuy, en Thrae orientale et n'arrive à Istanbul que le 12 février ! En 1931, la nature se montre particulièrement hostile : le 17 février, le Simplon-Orient-Express ne peut dépasser Sofia, les inondations de l'Anda lui barrant le chemin, le 8 mars, la " branche grecque " est stoppée à Skoplije par un tremblement de terre ; le 28 du même mois, des avalanches de neige à Inoï ne permettent pas l'acheminement sur Athènes ; le 10 avril, la circulation est coupée entre Athènes et Salonique par des inondations. Parfois, les hommes se mettent de la partie : le 21 novembre 1929, un attentat à la dynamite est commis contre le Simplon-Orient-Express entre Pirot et Tsaribrod, à la frontière bulgaro-yougoslave.

 

Tout cela ajoute au romanesque confortable de ce train. Car, comme dans l'Orient-Express - l'ancêtre - le confort y est roi. Dans les premières années de mise en service du Simplon-Orient-Express, la pénurie de matériel due à la guerre oblige la Compagnie des Wagons-Lits à utiliser les voitures qui avaient été celles du Simplon-Orient-Express avant 1914. C'est un matériel en teck construit avant 1905. Dès 1922, la Compagnie des Wagons-Lits sortait ses premières voitures, entièrement métalliques qui, peu à peu, remplacèrent les voitures anciennes. En 1929, le Simplon-Orient-Express en était complètement équipé. Ces voitures à 16 places en 12 compartiments, ainsi que les fourgons-douches demeurèrent en service jusqu'en 1939.

 

 Vers le Proche-Orient

Comme nous l'avons déjà rappelé, la guerre de 1914-1918, en provoquant la démembrement de l'Empire ottoman, avait ouvert à la France et à la Grande-Bretagne, le Proche-Orient. A la première était échu un mandat sur la Syrie et le Liban, à la seconde sur l'Irak et la Palestine. Les gouvernements de Londres et de Paris devaient donc, logiquement souhaiter le prolongement au-delà du Bosphore, du Simplon-Orient-Express. Ajoutons qu'en 1924, le réformateur de la Turquie, Mustapha Kemal, avait transféré la capitale d'Istanbul à Ankara, en Asie.

Pour toutes ces raisons - essentiellement politiques - en 1926, à la Conférence International de Baden-Baden, participent les délégués du réseau turc Anatolie-Bagdad et de la Compagnie Cilicie-Nord-Syrie. Le Simplon-Orient-Express va bientôt devenir avec son prolongement asiatique, un train intercontinental.

Quatre ans plus tard, le 15 janvier 1930, est inauguré ce prolongement. C'est le Taurus-Express. Il est en correspondance immédiate avec le Simplon-Orient-Express, les voyageurs étant transférés par des vedettes appartenant à la Compagnie des wagons-Lits, de la gare d'Istanbul à celle d'Haydarpasa, sur la rive asiatique du Bosphore. Le Taurus-Express assure une double liaison avec la Syrie et avec l'Irak, la séparation des deux trains s'effectuant à Alep, situé à 1728 de Haydarpasa. La " branche Syrie " atteint Tripoli d'où un service d'autos conduit à Beyrouth et, au-delà, à Haïfa, où l'on trouve un train pour Le Caire. En 1933, le parcours Paris-Le Caire, par cette voie se faisait en cinq jours et demi ; le prix du billet simple, 1ère classe, supplément wagons-lits compris, était de 4075 F. La " branche Irak " se termine, en fait à Tel Ziouane, en Syrie, mais là, des services automobiles conduisent les voyageurs à Kirkuk, d'où un train les achemine à Bagdad et à Bassorah. Un autre service automobile permet de gagner Téhéran. Paris était ainsi à 7 jours et 18 heures de la capitale de l'Iran. Le prix du billet simple - toujours en 1934 - 1ère classe, supplément wagons-lits compris était de 4900F.

Avant de quitter le Taurus-Express - dont il nous fallait parler, au moins brièvement, car il fut conçu comme prolongement du système Simplon-Orient-Express - il convient également de rappeler qu'à Haydarpasa, la correspondance était quotidienne avec l'Anatolie-Express, crée en 1927, et qui, en 1934, reliait ce port à Ankara en 16 heures.

 

Une nouvelle guerre change l'Europe

Quand une nouvelle guerre se déchaîna sur l'Europe, le 3 septembre 1939, le Simplon-Orient-Express fut suspendu. Trois semaines plu tard, il reprenait son service mais, au printemps de 1940, il s'arrêtait pour près de sept années. En octobre 1945, la Conférence de Bruxelles adoptait le principe de sa remise en circulation et, un mois plus tard, la Conférence de Lugano fixait son horaire en le limitant d'abord à Venise et il devait assurer, en même temps, les relations sur Florence et Rome, qui relevaient, avant 1939, du Rome-Express.

Mais la guerre de 1939-1945 avait laissé plus de destructions encore que la première guerre mondiale : gares, voies, ponts, installations de toutes sortes anéantis, ou gravement endommagés ; quant au matériel roulant, il était - c'est le moins que l'on puisse en dire - en triste état. Quoi qu'il en soit, ce n'est que le 1er janvier 1947 que le Simplon-Orient-Express put reprendre son service.

La physionomie politique de l'Europe ne ressemblait plus du tout à ce qu'elle était en 1939. Les multiples liens qui en 1919, avaient uni les Alliés de l'Ouest et de l'Est étaient rompus. Bientôt, l'Europe apparut divisée en deux blocs dont l'évolution politique, économique et sociale était totalement différente. Entre les pays de l'Europe occidentale et ceux de l'Europe centrale et orientale, la circulation des hommes et des marchandises se réduisit considérablement. La France et la Grande-Bretagne ne pesaient plus, dans la balance internationale, le même poids qu'au lendemain de la première guerre mondiale et les nations du Proche-Orient ne gravitaient plus dans leur orbite.

Une si grande transformation ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences sur le fonctionnement du Simplon-Orient-Express. En fait, il ne retrouva un aspect voisin de celui "d'avant-guerre " - bien que beaucoup moins luxueux - que sur le parcours Londres-Calais-Paris-Trieste, comprenant quotidiennement des voitures directes (wagons-lits de 1ère et 2ème classes et voitures ordinaires de 1ère classe et 2ème classe) Calais-Trieste, paris-Trieste, Paris-Belgrade, Paris-Rome, Paris-Venise, Paris-Milan.

Au-delà de Trieste, la marche était considérablement ralentie par l'acheminement du Simplon-Orient-Express comme express ordinaire toutes classées, s'apparentant parfois à un omnibus. Ce n'était d'ailleurs plus que trois fois par semaine qu'il comprenait des voitures Paris-Istanbul et Paris-Athènes. Quant à la desserte de Bucarest, elle n'était plus assurée par ce train, ais par l'Arberg-Orient-Express qui, d'ailleurs, connaît, depuis le 27 mai dernier, un sort analogue au Simplon-Orient-Express.

 

Un mort en sursis

A la reprise du service Paris-Istanbul, ce parcours demandait plus de temps qu'en 1919 : près de 100 Heures ! Ce temps fut ensuite abaissé à 80 heures ; puis, en 1949, à 76 heures et, en 1952 -, à 72 heures. Rappelons qu'en 1939, ce même parcours était couvert en 57 heures ...

Cependant, sur le trajet Paris-Milan, Paris-Venise,, Paris-Trieste, le temps de parcours n'a cessé de s'améliorer d'une année à l'autre.

Mais le Simplon-Orient-Express n'en était pas moins un mort en sursis dans une Europe qui n'est plus faite pour lui. Diplomates, hommes poltiques, courriers d'ambassades, brasseurs d'affaires, qui l'empruntaient jadis pour se rendre dans les lointaines capitales de l'Est européen ou du Proche-Orient, prennent aujourd'hui l'avion.

Il paraît bien loin maintenant le temps où un maharadjah hindou louait pour lui et sa suite, d'Istanbul à Paris, pour 120 000F d'avant-guerre, une voiture-lit entière de 24 couchettes, où le roi Boris de Bulgarie, passionné de chemins de fer, préférait à son wagon-salon particulier, la plate-forme de la locomotive pour y tenir le régulateur une heure ou deux ! ...

La présence, dans le Simplon-Orient-Express de tous ces personnages et d'autres, à la fois plus discrets et plus curieux - trop curieux - fit choisir ce train prestigieux, comme cadre de bien des romans d'aventures ou d'espionnage. Dekobra, qui eut son heure de succès vers 1925, y fit voyager ses héroïnes étranges et fatales.

Jean Bonmart y situa son " Poisson chinois " et Paul Morand, lui-même, du temps qu'il écrivait " Ouvert la nuit " et fermé la nuit " était " un habitué " du Simplon-Orient-Express, comme le fut Valéry Lardaud, avec qui les trains de luxe entrèrent dans la poésie.

Et, peut-être, plus d'un voyageur du Simplon-Orient-Express de naguère, se souvenant du temps où il roulait :

" Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,

Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses... "

Aura-t-il, en apprenant la fin du train, dont il garde la nostalgie relu l'ode célèbre :

" Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,

Ton glissement nocturne à travers l'Europe illuminée,

O, train de luxe ! et l'angoissante musique

Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,

Tandis que derrière les portes laquées aux loquets de cuivre lourd,

Dorment les millionnaires

 

B. Grangier